
Renverser
Picasso, comme Maillol, sont des virtuoses de la composition : Maillol montre dans le relief Le Désir la même habileté que Picasso dans la toile Femmes courant sur la plage dont on retrouve dans les corps massifs un possible parallèle avec le tableau de Maillol La Vague. Ailleurs, les figures basculent et même si l’équilibre semble en péril, il est toujours respecté et de la Rivière à L’Air, en passant par le Nu couché de Picasso, la forme s’apaise à la limite de la déformation, du chaos et de l’abstraction. Mais l’allongement maniériste de L’Air est à l’opposé des rondeurs du modèle de Picasso !
L’art de Maillol et de Picasso met la figure humaine et, par conséquent, l’humanisme au défi de ce qui les dépasse et risque à tout moment de les renverser, de les subvertir. La menace tellurique, celle des éléments comme la mer, le soleil intense, l’air, l’effort physique, la violence du désir et de l’érotisme, l’animalité, la lutte, le sommeil qui terrasse et les songes qui déforment, retournent - au sens propre et au sens figuré - l’aplomb et la verticalité humains en leur contraire : mise au sol, déplacement, chute, dédoublement, confusion et amas. Silhouettes, contours, lignes de force, structure des membres et attitudes sont poussés au désordre, à la destruction et au déséquilibre. C’est la remise en cause de l’unité par l’éparpillement, la prolifération, la déformation anatomique.
On ne voit trop souvent que le côté solaire de l’œuvre de Maillol, oubliant ce qu’elle intègre de forces contradictoires et de chaos. Picasso, lui, a su voir ces forces qui tourmentent son aîné car il les a lui-même connues et affrontées dans sa création.
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